Premier paragraphe de l'introduction
Ce travail interroge l’histoire de la Peinture. Celle-ci peut-elle encore s’inscrire dans un continuum classique quand elle traverse les périodes moderne et contemporaine qui sont clairement énoncées par la critique, la philosophie ou la sociologie, comme des moments de rupture ? Ce que nous appelons « peinture classique » est par essence une pratique occidentale. Elle fut longtemps aussi presqu’exclusivement européenne. En revanche, ce que l’on nomme aujourd’hui « peinture contemporaine » se retrouve depuis plusieurs décennies sur les cinq continents. L’hypothèse de ce travail sera donc d’observer, à l’appui de propositions théoriques et d’analyses d’un corpus d’œuvres choisies, comment des pratiques anciennes, après les bouleversements de la modernité, peuvent nourrir des pratiques actuelles en les inscrivant dans un même continuum classique. Résurgences et survivances seront au cœur du débat.
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Thèse en ligne:
Philippe Guérin
Doctorat en Art - arts visuels, UNISTRA – ED.520 – Ecole Doctorale des Humanités, Strasbourg, 2019
Directeur de thèse : Daniel Payot, philosophe, EA 3402 – Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistique (ACCRA).
Introduction
Aujourd'hui, en art, se côtoient de manière simultanée des approches traditionnelles et des approches technologiques que l’on retrouve dans bien des domaines de la vie, en commençant par celui qui nous concerne tous, la reproduction des espèces. De fait, le rapprochement entre création et procréation passe par de multiples possibilités de transfert, dans le monde végétal, animal ou humain, et déplace ainsi le questionnement de l’origine, des filiations, des transgressions – et donc, peut-être, de notre présence au monde et de nos représentations.
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Johannes Vermeer, Piet Mondrian, une porcelaine chinoise
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Hybridations
"La deuxième photographie fut faite un dimanche après-midi, au cœur de la ville, au bord du fleuve Yangzi Jiang. La lumière est un peu lourde dans une atmosphère à la fois ensoleillée et grise, le trafic ininterrompu de bateaux anime la surface de l'eau. Mais ces mouvements sont peu perceptibles depuis les rives tellement le fleuve est large et le panorama immense. Au loin quelques bouées, ce sont des nageurs. L'un d'entre eux regagne le rivage là où se tiennent un enfant et deux adultes, probablement les parents. A nouveau, je fus impressionné par cette dimension chinoise, dans laquelle se télescopent le très grand et l’individu, solitaire ou en petits groupes, se distinguant à peine dans cette démesure, ou qui nous semble comme telle parce qu’elle est si différente de notre échelle habituelle. Pourtant, là encore, simultanément et à mon étonnement, j’avais le sentiment d’être à ma place en me glissant parmi les citadins venus profiter de ce moment de paix très fortement perceptible. Alors j’ai décidé de cadrer quelques images. Et celle qui illustre mon propos dans cet article peut évoquer cette Vue de Delft par Vermeer que j’avais présentée aux étudiants chinois d’une école d’architecture dans cette même ville de Wuhan, quelques jours auparavant."
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Philippe Guérin
2017 – « Hybridations confondues », in Kaleidoscopic city, (Dir. C. Mazzoni, L. Fan, Y. Liu), La Commune, Paris, 2017, p. 215 - 231.
Preface
Looking back on the School of Architecture’s Experiment in Joint Teaching
Every year at the beginning of the fall semester, the School of Architecture holds in Arts Education Internship. During this period, second year students throw their easels on their on their back and follow the instructor to a place of magnificent scenery and begin to capture the word in their art. 2010 was a little different than usual, as we invited Professor Philippe Guérin…
… After the course, I took the opportunity to take a survey and found that the vast majority of both students and teachers felt Professor Guérin’s reaching was quite interesting, different from their usual way of doing things, and brought many opportunities for imagination and speculation. In my mind, this is the virtue of joint teaching: the coming together and communication between different cultures bring new horizons to our education content, and exposure to a new education method gives our instructors new inspiration...
... Most importantly, thanks to all the students who took part in the activity, since it was their active participation that made the fruit of this activity able to be published in this form for
the enjoyments of its readers!
Gong Kai, Professor, and Vice President of the School of Architecture, SEU, 2011 march 18th
Introduction
Participer de cet apport européen pour lequel vous nous invitez et auquel nous croyons encore un peu, est un geste d’accomplissement et de conviction intime dont peut-être effectivement, vous, enseignants et jeunes étudiants chinois, avez besoin aujourd’hui pour l’utiliser demain à votre fin en le transformant comme une «mise en culture» possible, afin de retisser des liens avec votre propre origine, qui fut malheureusement malmenée à la fin du XIXème et pendant le XXème siècle. D’ailleurs, cette «transplantation» sera peut-être bénéfique pour nous-mêmes, et ce d’autant plus que nous aurons le cœur pour le faire avec un peu de savoir et beaucoup d’honnêteté. Les hybridations ont toujours été présentes dans l’histoire. C’est en tout cas l’enjeu que je ressens comme important et il m’a semblé que nous pouvions parler un langage commun. C’est bien sûr ce qui rend nos conversations très intéressantes et le dialogue possible en sachant que nous n’avons peut-être pas toujours exactement la même analyse sur nos propres situations réciproquement en Chine et en Europe. Mais justement, cette diversité des points de vue peut aussi nous conduire à de plus grandes précisions et pertinences dans les échanges et pourquoi pas, à plus de lucidité sur les enjeux que (qui) nous porterons pour le futur.
Epilogue
… Le climat de confiance, de curiosité et d’écoute réciproque dans lequel nous travaillons aujourd’hui, encourage et permet l’existence de ce double échange culturel et pédagogique. des aménagements, des propositions d’ouverture seront nécessaires pour reconduire cette expérience. Aussi, cet ouvrage est avant tout un outil concret pour mémoriser cet échange et nourrir le dialogue afin de développer vos projets avec encore plus de concertation. Il rendra plus pertinente la possibilité d’une observation et d’une analyse des retours à moyen terme et peut-être à long terme, sur les parcours des étudiants chinois.
Dans un premier temps, notre curiosité, certes attentive aux techniques utilisées et généralement bien maîtrisées par ces derniers, se portera plus précisément sur la réflexion avec laquelle ils choisiront de conduire leurs travaux à venir et avec quelle marge de liberté pour eux-mêmes ils oseront le faire.
Ensuite, c'est bien entendu à nos partenaires enseignants de transformer ces approches pédagogiques en fonction des besoins des écoles d'architecture en Chine, besoins dont nous savons tous qu'ils vont évoluer très rapidement et notamment pour l'art et la culture.
Philippe Guérin
Teaching Reform Series on Architecture & Art Design in University. 2011
Southeast University of Nanjing, China
A propos d’un enseignement croisé danse-architecture
« Il est probable que la danse et l’architecture soient les arts principaux de l’homme d’où sont issus les autres arts.» Rudolf Laban
Nous menons depuis plusieurs années un enseignement* reliant la danse et l’architecture sous un intitulé – Le corps à l’édifice – qui ne comprend ni le mot danse, ni le mot architecture. En
effet, cet enseignement traverse en réalité plusieurs champs artistiques. L’élément central en est le corps, qui devient le véhicule privilégié de la pensée pour appréhender l’espace d’un
édifice.
Pour (re)connaître le corps : interactivité des enseignements
Comment penser un enseignement « sur et avec » le corps ? Nous avons choisi d’offrir aux étudiants une immersion dans la danse qui se fait en deux temps. Tout d’abord une initiation à cette discipline (reconduite chaque année par Juha Pekka Marsalo), qui vise à faire traverser des expériences corporelles dans un travail d’atelier relié directement à des cours de morphologie et de dessin. Ainsi les étudiants visualisent l’intérieur du corps et éprouvent le leur avec plus de précision en intégrant quelques notions d’ostéologie et de myologie. Simultanément, ils peuvent accompagner physiquement un modèle vivant dans les mouvements de son corps et retrouver dans leurs observations les appuis nécessaires pour la construction de leurs figures, tant d’un point de vue statique que dynamique. Le relais est ensuite pris par d’autres chorégraphes (tel Maria Donata D’urso, Prue Lang, Caroline Picard, Christophe Haleb…) qui choisissent et investissent des lieux urbains spécifiques, intérieurs ou extérieurs, pendant un stage très dense de 4 à 5 jours. Cette immersion « pratique » est alors enrichie par quelques cours ciblés sur l’architecture des édifices occupés pendant cette période et par une approche théorique de l’espace du danseur, visant à montrer comment une chorégraphie peut bouleverser l’usage d’un espace et en modifier la perception. C’est dans ce deuxième temps que cette (re)connaissance du corps fait naître de nouvelles possibilités d’appropriation (relecture) de l’espace.
Relecture de l’espace par le corps
Etant donné l’orientation de notre enseignement, nous avons cherché à mettre en relation cette prise en considération des corps avec des
lieux spécifiques. Si les premiers cours de danse sont donnés dans un studio, relativement neutre, ce sont au contraire des lieux destinés à d’autres usages qui sont utilisés par la suite. Ils
sont encore en fonctionnement (la crèche Emile Aillaud et la Cité 122 du Blanc Mesnil) ou désaffectés (la cuisine collective de Ville-Evrard). Ces lieux sont chargés de leur histoire, de leur
vécu actuel ou de leur mémoire. Les étudiants les investissent et provoquent l’espace de manière décalée par rapport à leurs habitudes : cela les entraîne vers de nouvelles interrogations
sur l’espace architectural ou chorégraphique. Walter Benjamin évoque la « réception tactile » qui, autant que la vue, fonde notre rapport à l’architecture. Or le sens du toucher est
souvent ignoré par les architectes. L’approche de la danse le réactive et ouvre sur une nouvelle façon de sentir le lieu. Des notions fondamentales comme la gravité, l’équilibre, que les
étudiants côtoient régulièrement dans leurs études respectives, vont être vécues autrement, par exemple comme un porte à faux, un jeté, un point de rupture… Peu à peu ils prennent des risques
avec eux-mêmes ; chacun se révèle aux autres et s’engage dans une relecture de l’espace par le biais direct de son corps et de l’émotion qu’il génère, tant pour lui-même que pour les autres.
Si les complémentarités disciplinaires enrichissent pour chacun le ressenti de son propre corps, il est surtout frappant de constater à quel point cette découverte de sensations intimes conduit à
la rencontre, visuelle mais aussi tactile, sonore, et encore sociale, culturelle… du corps de l’autre et de ce corps « collectif » du groupe qui va se déployer dans l’espace, obligeant
chacun à prendre en considération cette présence vivante. « Entre danse et architecture, l’espace se pense, se questionne, naît, s’expérimente, vit, et disparaît dans des échelles de temps
très lointaines », concluait une étudiante en architecture, Sophia Boudou, dans son bilan critique de rendu de projet. Cette expérience, ces rencontres inédites font basculer les repères
habituels. Les découvertes qu’entraîne la transdisciplinarité sont parfois très séduisantes et l’on observe des étudiants qui, au retour du « voyage », peuvent être tentés par des
applications trop directes, dans le champ qui est le leur, des notions qu’ils ont explorées en découvrant la danse ou l’architecture, par des raisonnements et des formes dont ils n’ont pas eu le
temps de comprendre et d’assimiler l’origine. Cependant, l’objectif n’est pas de «voler » la liberté découverte dans le champ voisin, mais bien de s’approprier dans le sien celle qui lui
appartient en propre et lui donne sa véritable dimension.
Ce passage par le corps, cette prise de conscience de l’autre, ce rappel d’une réalité très concrète peuvent-ils mettre à distance, pour un temps, la simulation du virtuel qui constitue le propre de la pratique de l’architecture, et autoriser une connaissance plus sensible de l’échelle humaine dans la conception des projets ? C’est là que réside l’enjeu de cet enseignement. Le long terme révélera les fruits de cette expérience dont le corps gardera la mémoire. Notre souhait est de donner à chacun la possibilité de retrouver la qualité de cette perception pour enrichir une pratique professionnelle – architecturale, chorégraphique ou critique – d’une profondeur vécue.
Note : *Ce projet fut expérimenté en interne par l’Ecole nationale Supérieure d’Architecture Paris-Malaquais sous forme d’ateliers avec Carolyn Carlson, Dominique Petit, Fabrice Lambert et Juha Pekka Marsalo. Aujourd’hui, grâce au soutien des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, Julie Perrin et moi-même le développons en partenariat avec le département danse de l’Université Paris 8. Cette approche pédagogique est donc marquée par le croisement des disciplines, mais aussi par celui des étudiants, issus du département danse ou de l’école d’architecture, qui partagent cette expérience avec des savoirs très différents, dont ils s’informent mutuellement.
Philippe Guérin
Repères Cahier de danse, Novembre 2006
http://www.cairn.info/publications-de-Guérin-Philippe--95683.htm
http://www.lazouze.com/Portfolio/Diaporama/16
Plus qu’un murmure, pas une affirmation, dire les choses qu’on a sur le cœur, ou se taire, ou rêver.
Une surface, un geste, une matière, un rythme, c’est un acte qui prend corps. Et là, sur une feuille de papier, vierge, blanche, en attente, en lumière, peut naître un dessin.
Celui-ci, entre le début et la fin, entre son commencement et son achèvement, entre le geste qui dessine et le geste dessiné, en s’unissant à elle, trait à trait, devient révélation.
Un dessin se signe.
Philippe Guérin
Identification, Rétrospective, Catalogue ULB, 1993
Nous ne serions qu’un bruit dans le silence. Amalgame de matière colorée, nous nous délimitons par les formes que nous simplifions parfois en quelques lignes. Suivre cette ligne pour n’en plus
fixer qu’un seul point. Parviendrions-nous à l’immobiliser, l’instant serait d’une pureté grandiose, fatidique et mortelle.
Il nous faut repartir, marcher encore et chanter des poèmes, les scander avec amour pour que « notre cœur – nous dit Cézanne – batte, ne fut-ce qu’une minute, au rythme du monde » et qu’alors
s’éveille en nous cette existence accidentelle qui bientôt, c’est une histoire de siècles pour certains, s’évanouira à nouveau dans le silence.
J’imagine le silence comme une infinie plénitude de points en liberté.
Philippe Guérin
Catalogue d’exposition du musée de St Maur, Mars 1983